Mars 2016

En attendant le décret d’application de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, la jurisprudence nous apporte un certain nombre de précisions.

Sur la notion d’offre irrégulière et l’appréciation de la lésion des intérêts d’un candidat évincé (Conseil d’Etat, 24 février 2016, Syndicat Mixte pour l’étude et le traitement des ordures ménagères de l’Eure, n° 394945).

Après avoir rappelé que :

  • le caractère irrégulier, inapproprié ou inacceptable d’une offre, ne permet pas au candidat évincé de se prévaloir d’une lésion de ses intérêts devant le juge du référé précontractuel ou d’une affectation de ses chances d’obtenir le marché devant le juge du référé contractuel ;
  • l’article 52 du code des marchés publics permet la régularisation des candidatures et non des offres ;

Le Conseil d’Etat considère que le juge des référés n’a commis aucune erreur de droit en jugeant que l’acheteur, à défaut pour lui de s’être assuré que l’acte d’engagement remis par le candidat n’avait pas été signé par une personne ayant qualité pour engager la société, ne pouvait se prévaloir de l’irrégularité de l’offre pour soutenir qu’elle ne pouvait être lésée par les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qu’elle invoquait.

Les documents attestant que la personne signataire est habilitée à représenter la société sont exigibles par l’acheteur au titre de la candidature aux termes de l’article 45 du code des marchés publics. Il revient à l’acheteur, en cas de doute, de solliciter lesdits documents.

Sur le contrôle des motifs de l’abandon pur et simple de la procédure, déclarée sans suite (Cour administrative d’appel de Nantes, 2 février 2016, Société SBS, n° 14NT01374)

Après avoir rappelé que l’attributaire pressenti n’a pas de droit acquis à la signature du contrat (Conseil d’Etat, 11 octobre 1985, Compagnie générale construction téléphonique c/ CHU de rennes, n° 38788), la Cour administrative d’appel de Nancy précise le contrôle que le juge administratif opère en matière de déclaration sans suite de la procédure.

L’acheteur a la faculté, à tout moment, de renoncer à la conclusion du contrat (articles 59 et 64 du code des marchés publics) ; il adopte alors une décision de déclaration sans suite.

Cette décision doit être fondée sur des motifs d’intérêt général, ce qui confère à l’administration un pouvoir d’appréciation relativement large, le juge exerçant un contrôle restreint en la matière. Son contrôle s’attache à vérifier que la déclaration sans suite n’est pas, en réalité, fondée sur des motifs autres que l’intérêt général.
Il a reconnu que les motifs d’intérêt général pouvaient se justifier au regard de motifs budgétaires, de disparition du besoin, d’irrégularités ayant affecté la procédure, de concurrence insuffisante.

L’attributaire pressenti ne peut ainsi prétendre à aucune indemnisation. Cependant, la responsabilité de l’acheteur sera retenue s’il a donné des assurances quant à la réalisation du marché, ou si elle n’a pas informé l’attributaire d’un possible abandon.

En l’espèce, après avoir fait connaître au pressenti attributaire son intention de le déclarer attributaire des trois lots du marché, l’acheteur a notifié sa décision de déclarer sans suite la procédure pour un motif d’intérêt général tiré de ce que les besoins des services avaient été sous-évalués. Il envisageait de relancer une nouvelle procédure en adéquation avec ses besoins réels. Au cours de l’instruction, l’acheteur a soutenu que l’évolution des besoins était consécutive à des défaillances techniques ayant affecté le matériel informatique de ses services entre la date de notification du rejet des candidatures et la déclaration sans suite, sans apporter aucune justification. Or, aux termes de l’instruction, la Cour a conclu que la déclaration sans suite était la résultante du défaut d’évaluation précise de ses besoins par le pouvoir adjudicateur, ce qui ne pouvait être regardé comme un motif d’intérêt général.

La responsabilité du pouvoir adjudicateur est engagée.

Le juge des référés précise le contrôle qu’il exerce sur l’appréciation des offres (Conseil d’Etat 20 janvier 2016, n° 394133).

Le code des marchés publics impose la publicité des critères de sélections des offres ainsi que leurs conditions de mise en œuvre, c’est à dire, en d’autres termes, leur pondération ou hiérarchisation (article 53 du code des marchés publics). Le juge administratif a étendu cette obligation aux sous-critères lorsqu’ils sont susceptibles d’exercer une influence sur les offres des candidats (Conseil d’Etat, 18 juin 2010, Commune de Saint-Pal-de-Mons, n°337377).

Le Conseil d’Etat a par la suite jugé que le respect des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures n’impose pas au pouvoir adjudicateur d’informer les candidats de la méthode de notation retenue pour apprécier les offres au regard de chacun des critères qu’il a fixés (Conseil d’Etat, 31 mars 2010, Collectivité territoriale de Corse, n°334279; Conclusions sur la décision Conseil d’Etat, 2 aout 2011, Syndicat mixte de la vallée de l’Orge aval, n°348711), étant précisé qu’une méthode de notation consiste à attribuer une valeur chiffrée à une prestation au regard d’un critère donné.

Le Conseil d’Etat laisse toutefois à la collectivité un minimum de liberté dans la manière dont elle apprécie le respect par les candidats des critères qu’elle a préalablement fixés. Le juge des référés se refuse lors de l’exercice de son contrôle à apprécier les mérites respectifs des offres, il demeure le juge de la mise en concurrence et nullement le juge du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse.

Au cas présent, le Conseil d’Etat est venu préciser la portée de l’étendue du contrôle du juge des référés. Il rappelle qu’il n’appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l’appréciation portée sur la valeur d’une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui revient toutefois de vérifier que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en méconnaissant ou en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats. Le contrôle du juge au stade de l’analyse des offres ne doit donc qu’être un contrôle de l’erreur factuelle.

Dans l’affaire en cause, le Tribunal administratif avait fait droit à la demande du candidat évincé après avoir opéré une analyse minutieuse des caractéristiques de l’offre présentée et jugé que l’acheteur avait dénaturé l’offre. Le juge de cassation sanctionne ce raisonnement au motif que le juge de première instance s’est substitué à l’acheteur et a excédé son office.

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